Le savoir-faire des constructeurs aide à maîtriser des installations d\’usinage sophistiquées, à pallier le manque d\’opérateurs aguerris et à atteindre des objectifs de plus en plus exigeants.
Plongé dans l\’obscurité, l\’atelier d\’usinage tourne à plein régime. Regroupées en cellules flexibles, les machines multifonctions et les centres d\’usinage cinq axes ronronnent. Le travail de programmation des pièces a été préparé à l\’avance grâce aux puissants outils de simulation et de fabrication assistée par ordinateur (FAO). Le va-et-vient des robots du magasin de stockage des pièces usinées vers les machines disponibles est incessant. Les machines s\’autocontrôlent et peuvent parer aux incidents les plus fâcheux. Dès qu\’une pièce est usinée, le robot la présente à la machine à mesurer 3D, installée à proximité. Un moyen de contrôle, mais aussi la possibilité d\’adapter en temps réel le fonctionnement des machines aux conditions réelles de l\’atelier. Le chef d\’atelier, lui, est installé à son domicile. Simplement équipé de son téléphone portable, il se tient prêt en cas d\’incident. Le système l\’avertira immédiatement par SMS si un incident venait à interrompre la fabrication. Grâce aux caméras qui équipent les machines, le chef d\’atelier pourra alors visualiser la situation via Internet. Et prendre les décisions qui s\’imposent pour relancer la production.
Ce scénario, que l\’on pourrait penser tirer d\’un film de science-fiction, est loin d\’être irréaliste. Plusieurs usines en France ont déjà mis en oeuvre une partie, plus ou moins importante, de cette solution d\’avant-garde. À Bourges (Cher), la filiale française du fabricant d\’outils de coupe Seco Tools utilise plusieurs dizaines de centres d\’usinage cinq axes robotisés. Des cellules d\’usinage flexibles dotées de centres d\’usinage Mikron de GF Agie Charmilles prouvent que le cordonnier peut être bien chaussé. « Nos cellules peuvent être surveillées à distance pendant le week-end, quand la charge de l\’usine est très importante. Ce n\’est pas le cas en ce moment, mais nous nous pouvons réactiver cette approche dès que le besoin se présente », explique Matthieu Dassonville, directeur de production de l\’usine. La démarche de Seco est simple. En cas d\’incident, des techniciens, d\’astreinte chez eux, sont avertis par un message sur leur téléphone portable. Ils se connectent alors, par Internet, au réseau de l\’usine et peuvent ainsi piloter la machine via l\’écran de la commande numérique reproduit sur leur PC. Les caméras installées dans l\’atelier leur permettent aussi de visualiser la situation dans son ensemble. La décision de se déplacer à l\’atelier ou d\’envoyer une équipe de maintenance est ainsi prise en connaissance de cause. « Nous avons même testé la possibilité de relancer à distance les machines après un incident, explique le spécialiste de Seco.
La simulation en amont devient systématique
Validée techniquement, cette manoeuvre reste délicate à mettre en oeuvre car la législation n\’est pas claire en ce qui concerne les responsabilités en cas d\’accident majeur. » De tels exemples ne manquent pas. Tous ont un dénominateur commun : la capacité des équipements à s\’autocontrôler. « L\’intelligence est de plus en plus présente à plusieurs niveaux, mais les utilisateurs doivent avoir une vision globale », constate Éric Gallet, responsable commercial au Centre technique des industries mécaniques (Cetim). Simulation, programmation, organisation de la production, surveillance et diagnostic des machines… toutes les étapes doivent être analysées. L\’utilisateur dispose d\’ailleurs d\’outils de plus en plus puissants. En amont, les logiciels NCSimul, de Spring Technologies, et Vericut, de CGTech, simulent les configurations d\’usinage les plus complexes. « Une approche qui deviendra systématique dans les usines », assure Gilles Battier, PDG de Spring Technologies. Prêche-t-il pour sa paroisse ? Pas nécessairement, car la sophistication incessante des machines explique cette évolution. D\’autres logiciels de FAO – Sescoi, Delcam, Open Mind, Missler Software et DP Technology – programment ces machines sophistiquées. « Attention, la pièce conçue au bureau d\’études n\’est pas la pièce usinée », avertissent cependant les spécialistes de Missler Software. Autrement dit, il faut assurer une mise à niveau des cotes pour respecter les tolérances du modèle CAO (conception assistée par ordinateur). Ce que fait la dernière version du logiciel TopSolid\’Cam.
L\’éditeur allemand Open Mind a décidé, lui, de développer d\’ici à 2013 une nouvelle plate-forme de conception assistée par ordinateur (CAO). Son constat : les modèles de conception ne sont pas assez adaptés à l\’usinage. Ce qui empiète sur la qualité des pièces fabriquées. Le logiciel Esprit de DP Technology, lui, gère les usinages multifonctions sans peine. Toujours côté logiciel, des outils dédiés gèrent les flux de production en temps masqué.
L\’environnement de la machine, indispensable pour pouvoir travailler sans surveillance, contribue lui aussi à ce sursaut d\’intelligence. Les systèmes d\’Erowa, 3R et Fastems chargent et déchargent des pièces et des outils sans aucune fatigue. Plus conviviales, les commandes numériques comme celles de Siemens, Fanuc, Mitsubishi, Heidenhain et Num guident les opérateurs, même les plus novices. Le programme VI-Mill de Fidia contrôle en temps réel la fabrication d\’une pièce. « Installé sur notre commande numérique C20, ce programme permet à l\’opérateur de visualiser et de tester avant ou pendant les opérations d\’usinage les éventuelles collisions entre l\’outil, la tête d\’usinage et les autres éléments de la machine », explique Mauro Adriano, directeur de ventes de la division UGV (usinage à grande vitesse) du constructeur italien. Ce système tient compte des conditions d\’usinage dans l\’atelier. Siemens a pensé au manque d\’opérateurs aguerris. Son logiciel de programmation du fraisage ShopMill est, de l\’avis des utilisateurs, l\’un des plus simples du marché.
De véritables centres d\’aide à la décision
Dotées d\’une instrumentation de plus en plus riche, les machines-outils sont ainsi devenues de véritables centres d\’aide à la décision. Mazak, Röders, Doosan, Okuma, DMG, Fidia et bien d\’autres proposent des stratégies d\’usinage « smart ». « Notre solution baptisée \”smart machine\” regroupe une série de modules qui surveillent attentivement le fonctionnement de la machine », explique Philippe Ledoux, responsable du centre de compétence HSM de GF Agie Charmilles. Communication homme-machine, aides à l\’opérateur, optimisation des opérations d\’usinage, contrôle d\’outil intelligent… rien n\’est laissé au hasard. Pas même le contrôle des vibrations, grâce à un capteur placé dans la broche d\’usinage.
Mazak développe depuis 2005 des solutions d\’aide à l\’usinage qui sont intégrées, par exemple, sur ses machines multifonctions Integrex. « Contrôle de la dilatation thermique, prévention des interférences de la machine, assistance vocale pour le réglage de la machine et le respect des normes de sécurité, surveillance de la broche, moniteur de maintenance préventive… nos aides sont multiples », souligne Bruno Woroniak, responsable des ventes chez Mazak France.
Pour Grégoire Chevignard, le PDG de Codem, distributeur d\’Okuma en France, « ce qui rend la machine-outil intelligente, c\’est avant tout sa commande numérique ». À la différence d\’autres constructeurs, Okuma fabrique ses propres commandes numériques, qui intègrent des fonctions comme la Super-NURBS, qui accélère l\’usinage. Capables d\’apprendre les meilleures pratiques d\’usinage, ces machines s\’adaptent à l\’environnement en absorbant les variations de température externes. Et s\’autocorrigent si elles détectent des vibrations. « La machine propose ou exécute des changements de vitesse de broche pour éliminer ces vibrations néfastes », précise le spécialiste.
L\’utilisateur doit apprivoiser l\’intelligence multiforme
Essentielle pour savoir ce qui se passe pendant la coupe sur la machine, l\’instrumentation des outils fait, enfin, peau neuve. Après Actarus, qui fournit depuis plusieurs années des outils dotés de capteurs pour les opérations de tournage, Variacor propose un nouveau système de détection de bris d\’outil. Simple à installer, adapté à tout type de machine, le VigiTool stoppe la machine en cas d\’incident.
Ce tour d\’horizon rapide ne doit pas faire oublier les autres gisements de savoir-faire. « L\’intelligence se trouve également dans l\’organisation de la production, constate François Bagur, directeur du cabinet de conseil en usinage éponyme, qui a mis au point la méthode d\’organisation Coumat. L\’intelligence doit être exploitée sur la globalité de la chaîne d\’usinage. Le dialogue entre les différents services de l\’entreprise est très important. Les données utilisées pour le calcul d\’un devis doivent impérativement, par exemple, être transférées au service méthodes et/ou à l\’atelier. Et les résultats obtenus après fabrication doivent quant à eux faire le chemin inverse. »
Reste pour l\’utilisateur à apprivoiser cette intelligence multiforme. Lancée par le Cetim en mai, la plate-forme partagée d\’usinage multifonctions répond à ce besoin. Deux industriels, ThalesAngénieux et APR-Plastiques, ainsi que trois éditeurs de logiciels de FAO, DP Technology, Missler Software et Sescoi, participent à ce programme qui s\’étend sur deux ans. « Les entreprises peuvent tester cet usinage complexe sous toutes ses coutures et apprécier s\’il correspond à leurs besoins », explique Éric Gallet, responsable commercial au Cetim. Tous ces développements anticipent-ils l\’arrivée de la machine-outil capable de prendre des décisions toute seule ? Cette utopie technologique reste le Graal de l\’usinage…Chez Caterpillar, une installation agile et souple
Une pièce toutes les dix-sept secondes ! L\’installation du Centre d\’études et de réalisations industrielles (Ceri), opérationnelle depuis 2010 dans l\’usine Caterpillar de Grenoble (Isère), est bourrée d\’astuces… intelligentes. La ligne fournie par le spécialiste normand de moutons à cinq pattes fabrique des maillons d\’engins de travaux publics. Un investissement de 6 millions d\’euros. Son point fort : la capacité de passer très vite d\’un type de pièce à un autre, comme des maillons symétriques et asymétriques, grâce aux automatismes et au système de contrôle centralisé qui autorisent un fonctionnement autonome pendant la nuit et le week-end. Et surtout au système, très original, de fixation des pièces sur les palettes. Deux robots ABB assurent l\’alimentation en pièces brutes et le déchargement de pièces finies via une ligne de convoyage de palettes conçue sur mesure. Pilotée par un seul opérateur, la ligne est commandée par une CNC Sinumerik 840D de Siemens et comporte six stations, chacune étant dotée d\’un magasin d\’outils. « Pour usiner avec une tolérance de 0,02 mm ces pièces en acier de 140 kg/mm2, nous avons choisi des outils de haute résistance », expliquent les spécialistes du Ceri. Résultat : un outil peut assurer jusqu\’à 500 usinages.Chez SMTO, les machines sont aux 48 heures
À Javron-les-Chapelles (Mayenne), l\’atelier de production de SMTO n\’a rien à envier à celui des grands mécaniciens. SMTO, qui compte une douzaine de salariés, conçoit et réalise des moules et des pièces techniques. Confronté à la fabrication de pièces complexes, ce spécialiste de l\’usinage de précision a mis en oeuvre le nec plus ultra de l\’usinage. Trois fraiseuses UGV (usinage à grande vitesse) trois et cinq axes de haute précision de Röders sont intégrées dans une cellule robotisée. Le robot sait ainsi quelle pièce il doit aller chercher au magasin et sur quelle machine elle sera usinée. Après des débuts difficiles en 2008, dus à la complexité de l\’installation et à une assistance quelque peu défaillante du constructeur allemand, tout est rentré dans l\’ordre. « Cette solution améliore la productivité d\’au moins 15 %, affirme Bruno Jeauneau, PDG de l\’entreprise. De plus, la cellule peut travailler sans surveillance si le besoin se présente. Huit heures chaque nuit. Pendant six jours par semaine, sur une période de quarante-sept semaines. Soit un total de 2 256 heures par an. » SMTO fabrique des pièces unitaires et des petites séries pour l\’automobile, l\’aéronautique, la cosmétique, l\’électricité et l\’électronique, l\’électroménager, le médical, etc.La boîte noire de la production
Lancé en 2007 par l\’Institut de recherche en communications et cybernétique (IRCCYN) de Nantes (Loire-Atlantique), le projet Smart machining method and system a permis de tester de nouvelles façons d\’usiner. Mené en collaboration avec de nombreux partenaires comme Airbus, ACB, SKF, le Cetim, etc., il a pris fin en mai dernier. « Machine, outils, commandes… tous les ingrédients ont été passés à la loupe », explique Benoît Furet, responsable scientifique du projet. Résultat : un dispositif intelligent capable de contrôler le fonctionnement de la broche d\’usinage a vu le jour. Baptisée EMMABox, cette boîte noire sera commercialisée par Europe Technologies. Elle contrôle les vibrations, la température et les efforts de la broche. Elle peut être utilisée pour le suivi du moyen d\’usinage et de la broche ou pour valider la programmation d\’une pièce. Ou encore pour valider les outils coupants. Plusieurs EMMABox sont déjà utilisées, dont deux chez Airbus à Nantes et cinq chez Dassault Aviation à Seclin (Nord).Chez Cabanes, pas d\’erreur dans l\’usinage
Spécialisée dans la mécanique de précision, la société Cabanes exploite une quarantaine de machines à commande numérique à Velaines (Meuse). Plusieurs cellules flexibles usinent des pièces complexes pour des donneurs d\’ordres de l\’aéronautique, du ferroviaire, des travaux publics… « Nous produisons des pièces à forte valeur ajoutée qui nécessitent un processus d\’usinage très fiable », explique Laurent Zanfonato, le président de cette PME d\’une centaine de salariés. L\’entreprise a installé fin 2010 une cellule palettisée Palletech de Mazak. Capable de fonctionner sans surveillance, elle comporte une machine multifonctions Integrex et deux centres d\’usinage 5 axes. Elle offre, en fonction des besoins, des capacités multiples. « Cette configuration robotisée, qui a nécessité un investissement de plus de 3 millions d\’euros, diminue les encours et améliore la qualité, précise le président de Cabanes. Elle permet surtout, grâce à ses aides multiples et aux systèmes anti-erreurs, de fiabiliser le processus d\’usinage. »